Tableau de Rudy Zeerman
Après la défaite en juin 40, la signature de l'armistice et le début de la collaboration avec l'occupant, la France est partagée en deux.
La victoire du franquisme et du nazisme en Europe accroit les persécutions et pousse les opposants, les juifs et par la suite tous ceux qui voudront continuer la lutte à chercher refuge dans les pays neutres ou alliés. Leur objectif sera de franchir la frontière Pyrénéenne afin de gagner une ambassade amie.
A partir de 1940 des réseaux d'évasion Anglais, Belges et Polonais se constituent pour rapatrier leurs combattants, auxquels se joignent les premiers français répondant à l'appel du Général de Gaulle.
Les difficultés sont nombreuses, les problèmes de météo de montagne, d'itinéraires, renforcés par la surveillance de fonctionnaires dépendant du gouvernement de Vichy entraînent l'utilisation de passeurs.
Dès 1942 leur missions seront de plus en plus difficiles. Le retournement de situation en faveur des alliés s'accompagne d'un durcissement de la répression Allemande.
Consécutivement au débarquement allié en Afrique du Nord les Allemands envahissent en novembre la zone non occupée dont l'Ariège. Ils s'imposent comme seule force de surveillance dans les Pyrénées et renforcent les contrôles.
En février 43 une zone interdite sera créée.
L'occupation de la zone libre, les arrestations se multiplient ainsi que les tentatives d'évasion et les contrôles.
Tous ces facteurs augmentent les risques d'être arrêté et contribuent à accroître les risques encourus par les passeurs.
Ils arriveront cependant à permettre l'évasion de 30 000 personnes à travers les Pyrénées (3000 dans le Couserans).
Plus de la moitié de ces guides (1000 environs) paieront un lourd tribu à leur engagement pour la liberté (blessés, accident en montagne, tués en mission, déportés et morts en déportation).
Ces passeurs, combattants sans uniforme ont pris une part active dans la résistance au nazisme en participant activement aux évasions et au rétablissement de la liberté et de la démocratie dans notre pays.
Récit d'un évadé de France
Comment comprendre aujourd’hui cette période tragique ?
Paul Broué, seixois d’origine fut l’un de ces résistants. Il a accepté de nous
parler et d’évoquer ici pour nous son enfance, son adolescence brutalement écourtées par ce temps douloureux d’une guerre sans merci où plane encore le souvenir d’amis, hélas aujourd’hui
disparus.
Le père de Paul, Régis, né en 1887, bien qu’ancien séminariste formé à Pamiers, a
préféré l’exil à la soutane : il choisit de rejoindre son frère aîné Léopold aux Etats-Unis où ce dernier exerce depuis quelque temps déjà le métier de cuisinier. Régis lui devient
laveur de vitres dans les buildings.
Mais la déclaration de guerre, en 1914, fait revenir les deux frères en France
pour s’engager dans l’armée. Tous deux seront
gravement blessés lors de cette terrible guerre.
C’est pendant sa convalescence que le père de Paul connaîtra sa future femme,
Gabrielle, originaire de Levallois-Perret…De cette union naîtront deux enfants : Odette, la sœur aînée de Paul, née en 1920 et Paul qui naîtra, lui, le 9 juillet 1923 à Seix.
A cette époque, la vie à Seix était rude, difficile.
Seix à cette époque
Le climat montagnard, le sol aride, le peu de richesses rendaient la majeure partie des
familles dépendantes de l’élevage de quelques vaches et moutons en plus de petites cultures dont, notamment, celle de la pomme-de-terre !
Le développement du colportage dans la région s’explique d’ailleurs ainsi, par ce souci
d’améliorer de maigres revenus et donc de tenter d’élever un peu le niveau de vie des familles qui souffraient de la précarité.
Les artisans existants exerçaient eux aussi des métiers motivés par la ruralité
montagnarde et tournés bien souvent vers les activités agro-pastorales, des métiers qui pour certains sont aujourd’hui en totale voie d’extinction comme celui de forgeron, de bourrelier, ou
encore de maréchal ferrant.
La seule industrie de proximité, à Seix, était alors la filature de laine du Campot où la laine des moutons était traitée, la tonte des moutons se renouvelant à chaque printemps et fournissant à cette usine sa matière première. L’autre grand employeur du village était à cette époque la fromagerie de Seix.
Fromagerie quartier de la Barraque Filature de laine quartier de Bagnères
Dans le village de Seix, les déplacements se faisaient encore majoritairement à pied ou en vélo, l’âne et la mule étant les bêtes de bât. Il n’ y avait que très peu de voitures à cette époque mais, Paul se souvient qu’un car à impériale assurait la liaison régulière entre Seix et Saint Girons, les jours de foires et de marché. Des voitures attelées de chevaux assuraient également cette liaison.
Les parents de Paul Broué tenaient quant à eux une pension de famille située rue de Pujole
C’est là le cadre de vie de Paul quand il fréquente l’école primaire de Seix et quand, il obtient, en 1937, son certificat d’études.
A la rentrée suivante, en octobre 1938, Paul intègre l’école primaire supérieure de Mirepoix, section technique, il y obtiendra bientôt un C.A.P. d’ajusteur-mécanicien.
Rigueur et discipline de fer sont alors de mise !
Le père de Paul qui l’accompagne au pensionnat, sympathise avec le directeur de l’école, Monsieur Rouquette, également blessé pendant la guerre de 14 -18.
1938… c’est, faut-il le rappeler ici ? une époque charnière historiquement parlant, une époque particulièrement dense, lourdement chargée en événements !
En France, c’est l’époque qui fait immédiatement suite au Front populaire : le député François Camel vient d’ailleurs à Seix où il rencontre le maire Auguste Simonin, pharmacien de son état,
celui-là même qui sera un peu plus tard destitué par Pétain et remplacé par une «délégation spéciale», présidée par Hubert Rocher.
Le père de Paul était là lui aussi, Paul s’en souvient.
Mais, de l’autre côté des montagnes, on entend toujours tonner les canons espagnols :
c’est que la guerre civile continue de faire rage à seulement quelques kilomètres de là, de l’autre côté de la frontière !
Le 26 janvier 1939 Barcelone tombe aux mains des franquistes. Les vaincus, ce sont les
Républicains, après trois ans d’une guerre civile qui a ensanglanté toute l’Espagne. Poussés par la mitraille, civils, militaires fuient vers la frontière pour se réfugier en France. Le 27
janvier la frontière est ouverte, les premiers réfugiés civils entrent en France, pendant que les derniers combattants continuent la lutte jusqu’au début du mois de février où sonne l’heure de
la Retirada. Devant l’arrivée de près d’un demi million de personnes, les autorités françaises choisiront de
concentrer les réfugiés près de la frontière pour éviter qu’ils ne se dispersent et pouvoir ainsi mieux les contrôler…
939 donc, lors de la Retirada, des Républicains espagnols affluent
par le port de Salau et par celui de Marterat ; les réfugiés arrivent à Seix. Certains d’entre eux resteront à Seix, c’est par exemple le cas de Jacques dont le frère, gradé de l’armée
républicaine, a été exilé en France sur les côtes de la Manche pour participer à la construction des blockaus allemands. Jacques lui sera hébergé à l’hôtel Dougnac et il y restera comme
homme à tout faire.
Paul Broué se souvient qu’à cette époque des enfants seront accueillis au cours complémentaire de Monsieur Palmade et qu’ils s’y verront offrir un goûter avec du pain, de la
confiture, du chocolat et des bonbons.
C’est en septembre 1939 que la déclaration de la seconde guerre mondiale est officiellement déclarée.
Le père de Paul, encore hanté par l’horreur de la première guerre mondiale, est effondré par cette nouvelle. Il décédera quelques mois plus tard, en décembre 39, d’une crise cardiaque : il n’a
qu’un peu plus de 50 ans…
Désormais, la mère de Paul va continuer de gérer, seule, la pension familiale.
Odette, la sœur de Paul est devenue institutrice en Normandie ; Paul, lui se trouve toujours à Mirepoix mais il n’est plus pensionnaire : il loge désormais au Rumat, chez un bourrelier
nommé Eloi Laffont. Paul revient de temps à autre voir sa mère et pour cela prend parfois le train entre Foix et Saint Girons mais enfourche le plus souvent son vélo !
Paul voudrait travailler mais, en cette période de guerre et, qui plus est, lorsqu’on réside dans une région transfrontalière, besoin est de prouver sa nationalité ! Paul a conservé le certificat que lui délivre à cette époque le juge de paix du chef-lieu de canton d’Oust. Ce certificat porte la mention « République française" et non « Etat français ».
En juillet 1942, Paul reçoit une proposition de travail dans les Fonderies Degro & Bonnet de Pamiers, travail qui lui serait payé 5 francs de l’heure mais, renseignements pris, le
travail est dur, dangereux (métal en fusion, chaleur intense et peu de sécurité) ; de plus, au vu de son jeune âge, Paul a toutes les chances, s’il accepte ce travail, de se faire embarquer tôt
ou tard par un convoi en partance pour l’Allemagne…
C’est alors que la vie de Paul va basculer.
Le temps de l’engagement et de la résistance
Paul, comme son père en son temps, n’a pas du tout envie de rester passif. Il décide
donc de s’engager. Il veut rejoindre les Forces Françaises Libres basées en Afrique du Nord.
C’est en compagnie de six de ses camarades – dont son grand ami Albert Sans-, que
Paul intègre la caserne Lapérine de Carcassonne comme engagé volontaire, le 5 novembre 1942 dans la cavalerie motorisée.
Mais il est des moments où l’Histoire se resserre et se densifie !
Le 8 novembre 1942, les alliés débarquent en Afrique du Nord ; le 11 novembre les
allemands envahissent la zone non occupée et arrivent à Carcassonne ! Un certain flottement et un climat de panique règnent alors dans la caserne : les engagés sont envoyés dans une autre
caserne, à Montpellier mais, le lendemain, on les renvoie vers Carcassonne où ils sont finalement affectés au 15e régiment d’artillerie.
Habillés de pied en cap, chaussés de guêtres de cuir, ils pratiquent alors un
entraînement militaire… avec des chevaux !
La démobilisation prend effet le 27 novembre 1942.
Avant son départ et en préparant son paquetage, Paul a subtilisé et caché un revolver
dans sa valise mais, suite à la dénonciation de son geste par le caporal au capitaine de la Compagnie, Paul est sommé de rendre cette arme.
Toutefois, Paul se souvient que le capitaine viendra lui serrer la main avant qu’il ne
reparte et que, devant toute la compagnie, le capitaine lui souhaitera haut et fort bonne chance, voyant sans doute dans le vol du revolver un premier acte de résistance.
Paul revient à Seix. Il touche 1800 francs par mois à ne rien faire !
Une aubaine à une époque où sa sœur, qui est institutrice en Normandie, ne touche, elle, que 1200 francs par mois !
Mais, là encore, il est des moments où l’Histoire s’accélère !
En décembre 1942, Paul reçoit une lettre de Monsieur Rouquette, datée du 16 décembre et
portée par un jeune homme, un certain Mr Scheffer.
Par le biais de cette lettre, Monsieur Rouquette demande à Paul et à sa mère dont il
connaît les sentiments antifascistes de bien vouloir donner asile au porteur de la dite lettre.
En fait, le véritable nom du porteur de cette lettre est Jean Saint Félix, et la véritable demande consiste en fait à essayer de faire passer ce jeune homme en Espagne…
Les passages d’évadés en Espagne se multiplient dans la vallée à cette époque, ils ne sont pas rares ni à Seix ni dans les vallées alentours.
Jean Sentenac
A Seix, les évadés arrivent parfois camouflés sous la bâche de l’impériale de
l’autobus de liaison St-Girons – Seix dont les chauffeurs sont Firmin Bergé et Charles Escassut.
L’accueil des évadés se fait en général dans les hôtels ou à la pension
Broué.
Les passages vers l’Espagne sont organisés par Jeannot Sentenac, surnommé « Réou
», boulanger à Seix.
Paul est chargé d’accompagner Jean Saint Félix – dont il apprendra plus tard qu’il était aviateur et qu’il voulait rejoindre la RAF en Angleterre-, et deux autres jeunes vers le Moulin-Lauga.
Il prend leurs sacs sur son vélo et leur demande de le suivre à bonne distance, de manière espacée sans toutefois le perdre de vue. Les trois hommes le suivent donc sur la route d’Espagne, le
long du Salat, jusqu’au Moulin-Lauga distant d’environ 4 kilomètres.
Là, le rendez vous avec Jeannot Sentenac qui amène, lui, de son côté, deux autres personnes, a été fixé à l’auberge-épicerie de Julie Roufast au Moulin-Lauga.
Mieux valait en effet se disperser et agir dans la plus grande discrétion !
L’auberge de Julie est située à l’exact croisement du Salat et de l’Estours.
Les deux personnes qui accompagnent Jeannot Sentenac sont le père
Oriol – qui confie son portefeuille et sa montre à Paul afin qu’il les expédie à
sa femme-, et son fils.
A 17 heures précises, la patrouille allemande composée de deux soldats armés descend à
pied d’Estours vers Seix : la route vers la montagne est libre, les hommes peuvent enfin s’y engager !
A partir de là, Paul s’en retourne à Seix, c’est Jeannot qui prend en charge le groupe
de cinq, direction le port d’Aula. Mais, si les trois premières personnes atteignent bien le col, il n’en va pas de même pour le père Oriol et son fils qui, après un temps de pause, s’égarent et
redescendent dans l’étroite et sombre vallée d’Angouls.
Le fils va y mourir, – sans doute de froid et d’épuisement-, tandis que le père
redescend lui dans la vallée jusqu’à Couflens, puis regagne Seix où il alerte la gendarmerie.
M. Palmade Directeur du cour complémentaire de Seix, assistera à l’inhumation du fils Oriol, il y emmènera même ses élèves comme pour lui rendre un ultime hommage mais, tout comme Paul, Jean Souque, professeur au Cours complémentaire, par prudence face aux possibles investigations allemandes et à la répression qui n’aurait pas manqué de s’en suivre, n’assistera pas à l’enterrement.
Un fait étrange et pour le moins incongru se produisit à peine quelques jours après
l’enterrement, un inspecteur de Foix vint en visite au cours complémentaire et demanda aux élèves de « raconter par écrit l’événement » auquel ils avaient assisté, cela ne laisse de surprendre.
De là à penser que Jean Souque, dont le frère Henri s’était déjà évadé quelques mois auparavant, devenait à son tour l’objet d’une étroite surveillance de la part des autorités, il n’y a qu’un
petit pas que Paul n’hésite pas à franchir !
Les gendarmes de Seix, malgré les velléités des allemands qui voulaient se saisir du
père Oriol refusèrent de le livrer. Paul rencontra une dernière fois le père Oriol chez le coiffeur Canitrot et put lui remettre furtivement le portefeuille et la montre que le père Oriol lui
avait confiés la veille.
Au début de l’année 1943, Paul est réquisitionné avec quelques uns de ses camarades comme gardes-voies aux Cabannes. Albert Sans, son ami de toujours, fait partie du groupe mais Charles Kauffmann, lorrain de Seix qui épousera plus tard Caroline de Picou est là, lui aussi ainsi que Grosjean.
Le travail consiste à garder la voie ferrée et à la surveiller de minuit à 7 heures du
matin. Il arrive souvent à Paul de s’endormir sous le tunnel et c’est par un signal sonore, en tapant un bâton sur les rails qui font écho, qu’Albert avertissait son ami d’un éventuel contrôle
!
Le groupe déjeune à la cantine des ouvriers d’Aston où le barrage est en construction.
Le couple qui s’occupe de la cantine se montre généreux avec eux et souvent, Paul et ses camarades trouvent dans leur assiette un paquet de cigarettes…
Les Cabannes comme Seix sont alors des villages situés en zone frontalière où les laissez-passer sont obligatoires.
Un certificat de résidence délivré au groupe par le maire des Cabannes, permet à Paul et à ses camarades de circuler librement en vélo, après avoir présenté le dit certificat aux allemands.
A la longue, les autorités remarquent toutefois le peu de motivation de ces jeunes à
surveiller avec sérieux la voie ferrée.
Paul et Albert, cherchant à éviter des sanctions qu’ils savent prochaines, décident de
rentrer à Seix.
Considérés dès lors comme déserteurs, ils risquent maintenant le Service de Travail
Obligatoire, peut être pire !
Nécessité fait loi, il faut qu’ils s’évadent à leur tour et de manière urgente, même si
l’extrême prudence est encore de mise à Seix car la mère de Paul héberge à ce moment là dans sa pension… deux allemands !
La décision de l’évasion est rapidement prise. Paul et Albert tiennent malgré
tout à faire un ultime aller-retour Les Cabannes-Seix afin de régler leur dû ! C’est grâce au tandem prêté par Mr Bovyn qu’ils effectuent cet aller-retour éclair !